Du catalogue d’exposition en ligne aux expositions virtuelles : glissement de l’outil scientifique à l’outil de médiation

Caractéristiques principales des catalogues de collections en ligne : du scientifique à l’universalisme et l’accessibilité

Le principe de catalogue en ligne a été conceptualisé pour mettre en valeur le contenu des institutions et accroître la diffusion des collections. L’emploi des interfaces numériques pour diffuser le contenu des collections des lieux culturels (libraires, musées..) émerge dans les années 1990 avec le Web.2.0[1]. La pratique du catalogue d’exposition et celle de l’outil numérique s’articulent autour d’enjeux similaires, soit la volonté de la mise en accessibilité des informations pour un plus grand public. L’émergence de cette nouvelle pratique s’inscrit dans une forme d’économie culturelle », de la « culture de masse et masse de la culture », de la « numérisation du patrimoine et culture informationnelle »[2].

Le catalogue de collections en ligne est directement issu de l’outil documentaire informatisé, dont l’emploi témoigne d’un glissement de cet outil de destination scientifique[3] (pour les conservateur, documentalistes ..) à une destination de médiation. L’évolution de l’utilisation de cet outil et la création des expositions en ligne montre la double dimension discursive et opératoire du catalogue[4]. Le catalogue en ligne est construit via un thésaurus qui permet une organisation spécifique en fonction de la substance des collections : hiérarchique (du générique au spécifique et au partitif), thématique, chronologique.. Issue de la pratique de l’inventaire et du classement des données, ces modes opératoires permettent de multiplier les entrées de vocabulaire. L’emploi d’un lexique répond aux normes académiques et scientifiques de la description5 et permet de modeler les données selon plusieurs modèles. Nous pouvons prendre l’exemple du Musée de Cluny, dont les objets de collections mis en ligne sont présentés selon plusieurs organisations : une frise chronologique interactive, des parcours thématiques, une classification par médiums[6]. L’utilisation de lexique définit selon des principes communs aux institutions et sa restitution sous un aspect visuel permet de franchir les limites entre le corps scientifique et élitiste des professions de musée et le grand public. Le musée de Cluny, dont nous avons prit exemple n’emploi pas de licence libre et fonctionne avec une licence de “tous droits réservés” créée par les lois sur le droit d’auteur[7]. Cela cloisonne de fait l’appropriation des informations mise en ligne sur les collections.

Outils : Omeka et l’exhibit builder

Plusieurs outils sont mis à disposition pour permettre de s’approprier ce dispositif très efficace qui a fait ses preuves depuis plusieurs années dans le cadre du développement de l’attraction muséale.

Omeka est un projet de création de plateformes libres de publication du contenu des institutions et projets culturels (libraires, musées, collections). Ce dispositif est structuré via une Licence libre, GNU General Public License, créée par Richard Stallman, qui est également fondateur du mouvement du logiciel libre. Sa mobilisation permet à tout internaute de s’approprier et de réutiliser le contenu d’une interface, mais ne permet pas de pouvoir intervenir dessus et le changer, ni le réemploi commercial du contenu[8]. L’emploi de ce modèle d’exploitation permet donc de mettre à disposition des institutions la structure de partage des données et mise à disposition par Omeka, sans pour autant risquer que le fonctionnement ne soit modifié ou altéré, ce qui garantit une sécurité d’utilisation. L’interface Omeka met à disposition des utilisateurs l’outil Omeka Classic[9], interface de publication de contenu basée sur le principe simple des blogs. Au moment de l’installation du et de la configuration de la plateforme, les métadonnées et l’arborescence de l’interface peuvent être redéfinies avec Dublin Core[10], pour une exploitation et utilisation plus personnalisée. Puis la section des archives permet la création de banque de données, organisée par types et sections (audio, photographies, contenu informatif ..). Chaque objet ajouté est défini par un titre, un créateur et une date. Une large sélection d’Item permet de définir le type d’article publié, agencé chacun selon son contenu (document, image fixe, image en mouvement, histoire orale..). Il est également possible de créer des catégories d’Item pour modeler les articles selon les besoins particuliers. Les éléments de contenu sont ensuite rassemblés et interreliés dans des Collections. Une fois le concept de la collection définie (titre, texte descriptif, concept..), il suffit de charger les items dedans pour voir les objets se rassembler dedans. Le design de l’interface est modulable grâce à un large choix de thèmes prédéfinis, mais peut également être personnalisé en en configurant les détails avec DC[11]. L’outil d’Exhibit builder est une extension interne d’Omeka Classic, permettant la création d’expositions, additionnées au contenu des collections. Le contenu des collections peut être mis en interrelation avec celui des expositions, pour en valoriser certains aspects ou objets selon le modèle discursif choisi. Le contenu des expositions est défini par les galeries, les fichiers et les textes. Une exposition peut avoir une ou plusieurs pages et il est possible de moduler leur arborescence.

Des plateformes comme celles mise à disposition par Omeka, Omeka Classic et Omeka S permettent de croiser la muséologie et le numérique contemporain, au travers d’enjeux communs, comme celui de l’ouverture des données et de l’appropriation des outils par de nouveaux utilisateurs. Omeka S a la particularité d’offrir, et se traduit comme une extension de fonctionnalité pour des sites déjà existants, permettant d’annexer une arborescence propre à la publication de ces contenus et donc offrir des fonctionnalités supplémentaires.

Démultiplication des fonctions et enjeux : ouverture des pratiques

Cette pratique de la mise en ligne des images des collections élargit alors leur impact dans la communauté muséale. La possibilité de bénéficier de leur accès H24 et de partout dans le monde accroît effectivement les possibilités de recherche scientifique et multiplie les discours et liens thématiques entre les oeuvres, créant ainsi de nouveaux corpus. Plusieurs institutions, muséales ou entrepreneuriales, s’associent dans des projets communs de mise en ligne de leur contenu, favorisant les liens entres objets et les structures. Cette pratique partenariale vise également à valoriser les qualités et caractéristiques propres à chacun. Par exemple, au sein du système culturel français, le label “Musée de France”, attribué à certaines structures muséales permet de bénéficier d’une valorisation et d’une diffusion de leur information via leur rattachement à la Base Joconde[12]. Puis à des échelles plus localisées, comme celles des collectivités de villes (Marseilles, Paris[13], Toulouse ont été pionnières), certaines se sont également rassemblées dans un projet de catalogue collectif des collections en ligne[14], offrant chacune des caractéristiques originales et particulières.

La ville de Toulouse a été pionnière à ce sujet, publiant par le biais du musée Saint Raymond le catalogue numérique des sculptures de Chiragan[15] et le portail collaboratif Palladia[16], s’inscrivant dans la volonté de l’ouverture des données mise en place par la municipalité. Le catalogue numérique met particulièrement en valeur un aspect de la collection du musée, soit les objets lapidaires de Chiragan. Le contenu est organisé selon des thématiques concernant ces objets, composées d’un texte introductif, de notices d’oeuvres illustrées, d’une bibliographie complète et d’images de comparaison. La particularité innovante de ce catalogue est que chaque oeuvre dispose d’une fiche dans laquelle on peut zoomer sur l’image et naviguer en 360. La structure du projet est conçue avec la licence libre Creative Commons BY-SA, permettant de “partager (copier, distribuer et communiquer le matériel par tous moyens et sous tous formats) et d’adapter — remixer, transformer et créer à partir du matériel, pour toute utilisation, y compris commerciale.”[17]

Nous pouvons également prendre l’exemple sur le Google Art Project[18], qui a mis en place une plateforme en partenariats avec une multiplicité de musées et institutions culturelles à travers le monde, mettant en ligne le contenu de leur collection. Depuis 2011, cette plateforme de collection en ligne propose l’accès au contenu de quelques centaines de musées. Les images numériques y sont présentées en haute définition, accompagnées de leur cartel. Certaines sont même présentées en très haute définition (7 milliards de pixels par image)[19]. Cette qualité offerte par l’emploi de l’innovation numérique transcende alors les possibilités offertes au sein même des musées. En effet, l’apport de l’image numérique à la visualisation des oeuvres d’art permet une aisance de manipulation. La possibilité de zoomer sur des oeuvres en permet une meilleure étude et perception, changeant complètement le rapport de la recherche[20]. Les descriptions d’oeuvres et les études stylistiques et matérielles prennent alors une toute autre dimension.

Ce type de projet permet non seulement aux utilisateurs de s’approprier non seulement les informations et les données sur les oeuvres au travers de la qualité matérielle qui leur est offerte par l’emploi des performances numériques, mais également de s’approprier les valeurs intellectuelles des oeuvres et les manipuler selon leur convenance. Dans certains systèmes, l’internaute peut effectivement disposer de son propre espace personnel pour y créer sa galerie et y disposer les oeuvres de son choix. Cette option permet de se familiariser avec certains aspects du commissariat, en adoptant une logique de sélection, et mise en dialogue des oeuvres selon une logique propre.

L’outil des catalogue de collection en ligne, comme nous avons pu le comprendre dans le bref panorama de l’évolution de cet outil est maintenant employé comme un vecteur de classement des informations une plus grande aisance dans leur structuration, de médiation et communication des contenus, ouvert à un public universel oneline. L’emploi par les musées de ces outils de catalogue des collections en ligne et des différentes options performatives qui gravitent autour de ce concept permet non seulement une meilleure appropriation des oeuvres et des contenus informatifs des collections mais comme une invitation et une opportunité de venir entrer et découvrir de nouveaux aspects des collections.

Références textuelles

[1]Rebillard, Franck. (2021). « Du Web 2.0 au Web2 : fortunes et infortunes des discours d’accompagnement des réseaux socio numériques », In Hermès, La Revue, n° 59, 2011, pp. 25-30. Consulté le 13 avril 2021, disponible sur https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2011-1-page-25.htm &gt. [2]Dufrêne, Bernadette, Ihadjadene, Madjid et Bruckmann, Denis. (2013). Numérisation du patrimoine : quelles médiations ? quels accès ? quelles cultures ?, Éditions Hermann, coll. « Cultures numériques », 2013, 311 pages. [3]Welger-Barboza, Corinne. (2012). « Les catalogues de collections des musées en ligne, au carrefour des points de vue ». In De la médiation à la propédeutique de l’image numérique. Paris, Éditions Hermann. Publié le 19 novembre 2012, disponible sur https://observatoire-critique.hypotheses.org/1423. [4]Welger-Barboza, Corinne. (2012). Op. cit. [5]Welger-Barboza, Corinne. (2010). Quelques réflexions sur l’effet propédeutique des catalogues des collections des musées en ligne, In Digital Humanities, 2010. Disponible sur http://dh2010.cch.kcl.ac.uk/academic-programme/abstracts/papers/pdf/ab-783.pdf. [6]Voir sur < https://www.musee-moyenage.fr>. [7]Creative Commons — Attribution-ShareAlike 4.0 International — CC BY-SA 4.0. (s. d.). Creative Communs. Consulté le 5 avril 2021, à l’adresse https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/ [8]Creative Commons — Attribution-NonCommercial 2.0 Générique (CC BY-NC 2.0). Consulté le 26 avril 2021, disponible sur https://creativecommons.org/licenses/by-nc/2.0/. [9]Omeka. Manuel de l’utilisateur Omeka Classic, Consulté le 17 avril 2021, disponible sur https://omeka.org/classic/docs/. [10]BNF. Guide d’utilisation du Dublin Core (DC). Consulté le 24 avril 2021, disponible sur https://www.bnf.fr/fr/dublin-core. [11]BNF. Op. cit. [12]Ministère de la Culture. Catalogues en ligne de collections : musées de France. Publié le 23 mars 2021, disponible sur <https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Musees/Les-musees-en-France/Les-collections-des-musees-de-France/Decouv rir-les-collections/Catalogues-en-ligne-de-collections-musees-de-France>. [13]Beaudouin, Pierre-Yves, « Paris Musées : le choix déterminant de l’open content », In Wikimédia France. Publié le 16 janvier

  1. Disponible sur < https://www.wikimedia.fr/paris-musees-le-choix-determinant-de-lopen-content/>. Consulté le 25 avril [14]Ministère de la Culture. Op. Cit. [15]Voir sur http://villachiragan.saintraymond.toulouse.fr/a-propos/. [16]Voir sur http://zone47.com/crotos/palladia/. [17]Creative Commons —Attribution - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International (CC BY-SA 4.0). Creative Communs. Consulté le 12 avril 2021, disponible sur https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/deed.fr. [18]Voir sur https://artsandculture.google.com/partner?hl=fr. [19]Legrand, Florence. Google Art Project : 151 musées à portée de clics ! Publié le 08 mai 12 à 07h15. Disponible sur

https://www.lesnumeriques.com/vie-du-net/google-art-project-151-musees-a-portee-clics-n24300.html. [20]Welger-Barboza, Corinne. (2012).

Bibliographie

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Dufrêne, Bernadette, Ihadjadene, Madjid et Bruckmann, Denis. Numérisation du patrimoine
quelles médiations ? quels accès ? quelles cultures ?, Éditions Hermann, coll. « Cultures numériques », 2013, 311 pages.

Club Innovation. Open data, open content, open source … le musée Saint-Raymond de Toulouse publie le catalogue numérique des sculptures de la villa romaine de Chiragan, mis à jour le 09 décembre 2019, disponible sur <http://www.club-innovation-culture.fr/musee-saint-raymond-toulouse-catalogue-numerique-s culptures-villa-romaine-chiragan/>.

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